Au fin fond des bois - Laurin et Caleb

Je l’entends m’expliquer ses habitudes. Et je ne peux pas m’empêcher de soupirer en me passant une main sur le visage. Rien de très étonnant à arriver à ce résultat donc. « Rah, je sais que j’peux pas t’en vouloir puisque t’as pas été éduqué en conséquence mais par tous les saints des humains… Ça m’étonne pas que t’en arrive à des extrémités pareilles. »

J’essaie de me redresser un peu sur mon assise. « Écoutes. Déjà, arrêtes de parler de ta part louve comme si c’était un parasite. Tu vis avec maintenant et c’est plutôt définitif. Tâches d’essayer de la comprendre un peu plus, plutôt que de la rejeter et d’essayer de la museler directement. Tu as des besoins, toi, non ? Elle aussi. C’est aussi simple que ça. » J’espère qu’il arrête sous peu de penser comme les humains, qui se retournent contre tous ce qu’ils ne connaissent ou ne comprennent pas. Quitte à choisir je laisse cette tare-là à l’humanité.

« Autrement… A part essayer de la faire courir plus souvent, une fois par semaine je dirais, pour un début, je vois pas trop quoi te dire d’autre… Ta part animale a besoin d’être sollicitée et dépensée. Si vraiment tu ne peux pas courir et la laisser s’exprimer, je sais pas moi… Trouves toi une petite guillerette pas farouche et fais lui passer une nuit mémorable. Vous serez gagnants tous les deux, ça épuisera ton surplus d’énergie, en prime. » En tout cas je sais que c’est un conseil que j’ai souvent donné aux plus jeunes, quand j’en avais l’occasion.

Ah, il s’énerve. Enfin. A vrai dire je le trouvais étonnamment calme. Mais bon, ça ne veut pas dire que je vais tolérer qu’il me parle comme ça non plus. Traumatisé ou pas. « Déjà tu commences par me parler meilleur, c’est compris ? » Non mais, oh. On croit rêver.

« Ensuite j’ai jamais prétendu qu’être devenu un des nôtres était la plus belle chose qui aurait pu t’arriver. C’est tout le contraire, c’est un calvaire et je suis le premier à valider le propos. » Mais bon, maintenant qu’on est là… « Je dis pas non plus qu’elle n’a pas été irascible avec toi. Mais, corriges-moi si je me trompe, t’as plutôt essayé de la voir et de la comprendre comme un être humain, j’me trompe ? Bien. Bah si tel est le cas, t’as tout faux, garçon. Humaine, ta part louve ne l’est pas et ne le sera jamais. Et maintenant c’est aussi ton cas. Faut pas raisonner avec les loups comme on le fait avec les hommes. C’est peine perdue si tu commences comme ça. »

Il faut bien lui faire comprendre que la galère, ça va dans les deux sens, après tout. « Ta part louve n’a eu aucun repère pour se guider, elle a dû tout faire à l’instinct. En étant perdue. Parce que oui, elle comprend pas plus que toi ce qui lui arrive, j’te le garantie. » Enfin, c’était le cas jusqu’à maintenant, en théorie. « Maintenant… Eh bien… De par la soumission que je lui ai appliquée tout à l’heure, elle peut maintenant se référer à moi en tant qu’alpha. Ça devrait l’aider pour la suite et en théorie, si tu arrêtes de la museler comme un toutou bien dressé, elle devrait arrêter de te casser les pieds. Crois-moi, y’a rien de meilleur que d’être en symbiose avec sa part animale. Mais ça demande du temps. Et beaucoup de travail. Des deux côtés. » Je sais pas si sa partie animale m’entends, mais j’espère bien que oui.

Semblerait que j’ai un peu plus de chance avec lui maintenant qu’il est humain et donc apte à raisonner. Ça m’arrange, je dois dire. Car même si je comprenais sa partie louve, je n’en restais pas moins non plus entre deux situations assez inconfortables. Et j’oublies pas qu’elle a failli me tailler une patte en deux, la saloperie ! M’enfin… Au moins il s’est apaisé, un peu. J’espère que mes conseils vont l’aider, moi maintenant, je peux plus rien faire pour lui. Enfin, pour eux.
En plus j’ai un coup de barre, je vais aller me pieuter. Je me relève. « Bon, garçon, pas que je m’ennuie mais… si, en fait. Je vais aller dormir, moi, cette nuit m’a épuisé. »

Je le redresse en lui attrapant le bras, constatant par la même occasion qu’il est plus grand que moi. Enfoiré. Bref. J’attends pas davantage pour le pousser un peu vers la sortie. De la grotte « Aller aller, bon courage pour ton apprentissage, j’te laisse aller retrouver ta petite femme si t’en a une. Salut et à jamais surtout ! »

Et hop là, dos tourné, moi je vais m’affaler dans mon foin. Je peux enfin me reposer. J’espère que Sloan me réveillera pas en rentrant. Avec un peu de chance, elle me fichera la paix. J’ai eu assez d’un seul boulet à m’occuper dans ma journée.